Mes grands-parents maternels que j’appelais familièrement Pépère et Mémère habitaient dans les années 50 à Branscourt, petit village d'environ 150 habitants, situé à 18 km de Reims. On atteignait ce village en quittant la route nationale de l’axe Reims – Soissons, on parcourait deux kilomètres sur une petite route de campagne qui montait légèrement à travers le bois de la « Crépine » en sinuant, puis redescendait dans un creux entouré de coteaux.
On apercevait à gauche, après les premières maisons, l’église et à droite un grand mur très haut entourant une « propriété ». Mes grands-parents occupaient une maison à l’entrée de la grande propriété appelée « le château ». Un premier château avait été détruit par les allemands en 1918 pendant la guerre (un incendie selon les dires de mon grand-père) puis reconstruit avec une architecture différente.
La maison des grands-parents est inoccupée depuis de nombreuses années et en mauvais état.
Vue du haut de la route qui conduit à la ferme de Montazin (vers Savigny sur Ardres), s’appuyant sur le vieux village et protégée par un mur soutenu par des contreforts, avec son beau clocher carré à quatre pentes, sa belle et haute nef couverte de petites tuiles, on lui donnerait le label roman sans confession. Ce n’est pas tout à fait vrai ! Une fois, poussée la grille en fer qui mène au cimetière et après avoir grimpé six marches, l’édifice avoue volontiers la triste vérité.
Abattue par la folie des hommes lors de la première guerre mondiale, l’église a été rebâtie. Du 12ème siècle, disent les spécialistes, il ne reste plus que la tour trapue qui a résisté aux obus. Cette tour supporte deux cloches. L’une installée en 1834, mais brisée par les allemands, a été refondue et bénie en juillet 1929. L’autre, prénommée Jeanne-Anne-Marie, a été offerte par Paul Charbonneaux à la mémoire de ses deux fils Marcel et Jean morts pour la France. Du 12ème, il reste aussi la croisée du transept voûtée en berceau plein cintre affaissée, et une travée de la nef. Le reste a été refait au 18ème siècle.
Le portail ouest se fait vite oublier. A proximité, un imposant tombeau de pierre attire l’attention. Il abrite les restes de Jeanne Marie Henriette de Beffroy, épouse de Louis Pierre H. de Berthet (1784-1859), décédée au château de Branscourt.
De hautes baies aux verres blancs dominent les bas-côtés de la nef, recouverte de petites tuiles couvertes de mousse par endroit. Sur les bras de chaque transept, on trouve un vitrail de trois couleurs. Le chevet encadré par deux grands contreforts s’ouvre sur deux baies géminées. Un coq couleur aluminium domine le clocher trapu, sans effrayer les pigeons.
Sur le collatéral nord, des traces d’une arcade dont l’arc plein cintre, très grand, témoigne que l’édifice devait avoir des proportions sans doute plus importantes à l’origine.
Privée de travée, la nef paraît démesurée. Elle est assez lumineuse, avec ses trois hautes fenêtres de chaque côté. Les fonds baptismaux en pierre sont ornés d’angelots et de feuilles de chêne. Une échelle qui accède au toit de la nef, repose dans une cuve ancienne où l’on baptisait les bébés. De nombreuses statues saluent votre passage. Sous vos pieds remarquez les superbes pavés noirs et blancs rehaussés d’imposantes fleurs de lys.
Derrière l’arc triomphal, la croisée du transept est affaissée. Si le bras gauche a été reconverti en sacristie, le bras droit est dédié à la Vierge dont on peut voir deux statues. L’une aux couleurs grisâtres est du 14ème siècle. Elle a été présentée dans une exposition consacrée à l’art champenois au musée des beaux-arts en 1951. L’autre, plus moderne, montre la Vierge portant l’enfant Jésus couronné.
Il faut monter trois marches pour monter au sanctuaire. Derrière un autel miteux, on a presque caché le très bel autel de pierre. Soutenu par six colonnettes aux chapiteaux sculptés, il est surmonté d’un tabernacle orné d’un agneau pascal. Il devance un retable du 18ème repeint en blanc, dont le tableau a été remplacé par un joli vitrail d’un Christ en croix réalisé en 1917. Des vitraux aux carreaux tricolores dans les bras du transept, amplifient la lumière.
Sources : http://www.courcelles-sapicourt.fr (D’après une série de parutions en 1996 dans l’Union).
Grande ferme
Dans la plus grande ferme de Branscourt, après le monument aux morts et à une centaine de mètres de chez mes grands-parents, ma grand-mère allait chercher chaque fin de journée un litre de lait frais dans son grand pot en aluminium. J’y allais quelquefois à sa place, surtout en été, car j'aimais passer devant le jardinet et la maison dont la façade était ornée de rosiers grimpants magnifiquement fleuris.
Dès que je rentrais à la maison, le lait était mis à bouillir sur la cuisinière à bois dans un autre pot en étain recouvert d’un couvercle percé de trous pour empêcher le lait de « se sauver » comme on disait. Quand le lait était un peu refroidi, il m’arrivait de manger la peau bien crémeuse formée sur le dessus : un régal ! Quand ma grand-mère prenait deux pots de lait frais à la ferme, c’était pour confectionner du fromage blanc après l’avoir laissé égoutter quelque temps ; le petit lait récolté était donné aux chats ou bien aux chiens pour les « vitamines » comme on disait à ce temps là.
A l’intérieur de la ferme, un local avait été mis à la disposition de Mademoiselle Désenclos (mes excuses si j’orthographie mal son nom, on ne me l’a jamais appris) qui assurait les leçons de catéchisme. Je commençai à suivre l’enseignement dès mes 4 ans ½ et ceci se passa semaine après semaine dans la plus grande frayeur. Je m’explique : en effet, pour rejoindre la pièce mise à disposition par le propriétaire il fallait passer devant la belle habitation et le jardin de roses (pas de problème) puis tourner à droite et longer le mur de la maison pour aller jusqu’à l’arrière du bâtiment. Le chenil du propriétaire, sous forme de bâtisse construite en dur avec une séparation pour chaque chien, débouchant sur deux grandes cages grillagées en plein air, était construite de l’autre côté du passage que je devais emprunter et ce passage ne mesurait qu’un petit mètre de large ! deux énormes chiens de garde genre molosses, se dressaient sur les barreaux, montrant les crocs, bavant en aboyant férocement. Rien à voir avec les chiens de chasse de mon grand-père avec lesquels je me roulais dans l’herbe pour jouer…
Ils étaient énormes, luisants, noir et fauve, et debout, me dépassaient deux fois en taille. Leurs aboiements me terrifiaient, j’avais peur qu’ils n’abattent les grilles et ne fassent qu’une bouchée de moi. Il faut dire que Melle Désenclos nous lisait la bible pendant les cours de catéchisme et semblait affectionner particulièrement les récits des martyrs, des lions et l’enfer que nous pourrions connaître si nous n’étions pas de bons petits enfants. Après une heure de cette ambiance, lorsqu’il fallait passer pour sortir devant les immenses chiens de garde, je croyais à chaque fois ma dernière heure arrivée, à tel point que je commençai à faire des cauchemars et refusais, sans le dire, d’aller suivre mon catéchisme : il me suffisait de disparaître dans mes bois une bonne heure et je revenais pour le repas ! (je n’avais que 4 ans ½ ! )
Cela aurait pu durer si Melle Désenclos, s’inquiétant de mon absence durant 3 ou 4 cours, n’avait sonné un jour la cloche du portail à l’heure du repas de midi pour rencontrer ma grand-mère, étant sûre de la trouver dans sa cuisine. Je fus obligée de m’expliquer et avec honte racontais mes cauchemars et ma terreur pendant ces semaines… Je ne savais pas que d’autres enfants avaient également très peur mais ils n'en avaient pas parlé, je ne l'appris qu'après cette histoire !
Un arrangement fût trouvé et je vis ensuite une personne de la ferme toujours présente près du chenil pour calmer les chiens lorsque nous allions rejoindre Melle Désenclos pour le catéchisme. Ceci dit, son enseignement bien que dispensé avec bonne volonté n’était pas adapté à de jeunes enfants de moins de 6 ans et, en ce qui me concerne, je ne fis pas la différence entre Jésus, Dieu et le Père Noël, ainsi que le découvrit plus tard, à Paris, le Père de notre paroisse chargé du catéchisme lorsque j’y arrivai après mes 8 ans ½. Tout fût à refaire et je suivis à nouveau l’enseignement du catéchisme jusqu’à l’âge de ma communion solennelle à 11 ans en 1958.
Après la place du monument aux morts devant lequel d’ailleurs chaque année au mois de Novembre une gerbe était déposée par Monsieur le Maire, avec défilé des anciens combattants des guerres de 14-18 et de 39-45 précédés par la fanfare de 6 ou 7 musiciens dont mon grand-père était le « chef » car il jouait du clairon, la rue redescendait en pente douce, passait devant la plus grande ferme de Branscourt à droite, puis remontait jusqu’à la place de la Mairie à gauche.
Ancienne carte postale de Branscourt après la guerre 14-18. Rue principale en direction de la Mairie. On aperçoit des décombres à gauche qui se situent devant la cour de la grande ferme à droite. |
La Mairie était une construction en pierre, simple mais assez grande pour abriter le bureau du maire, une grande salle pour les mariages et un logement de fonction à l’étage. Face à la mairie, à droite, une partie du bâtiment était destinée à abriter l’école primaire. Sur cette place de la mairie une grange immense servait à stocker la paille ; elle appartenait à la deuxième ferme importante de Branscourt que l’on voyait un peu plus loin en reprenant la rue principale à une centaine de mètres. On passait d’autres habitations sur 200 m puis on sortait du village. Quelques chemins de terre partant de cette rue principale desservaient d’autres habitations, jardins et petites fermes.
A partir de l’église la rue remontait en direction du « monuments aux morts » situé sur une petite place gravillonnée (maintenant goudronnée) devant un « bar, épicerie-bazar », que l’on appelait entre nous chez la « mère Jagie ». L’établissement était divisé en deux parties : un couloir central qui desservait à gauche un bar avec une salle qui me semblait très grande et, à droite, l’épicerie-bazar où régnait un désordre indescriptible dû à l’entassement de divers objets où les casseroles voisinaient avec les tabliers et les tapettes à mouches. Je n’ai jamais connu les véritables nom et prénom de cette épicière mais on trouvait pratiquement tout le nécessaire chez elle : épicerie, conserves, fromages, mercerie, droguerie, quincaillerie, chaussons, quelques vêtements, cartouches pour la chasse, tabac… peu de légumes car au village tout le monde avait son jardin, mais les oranges et les bananes étaient présentes. Quand j’étais malade, fiévreuse et obligée de rester au lit, ma grand-mère me rapportait de chez la « mère Jagie » un cahier de coloriage et une petite boîte de 6 crayons de couleur ! je baignais dans la joie et quand j’eu compris le rite, dès le passage du Docteur, je demandais si j’aurai droit à mon cahier de dessins (un enfant ne réclamait pas à cette époque, du moins dans ma famille).Et quand j’étais malade très longtemps, au moins plus de 3 jours, j’avais droit à un deuxième cahier ! Mais quand ma grand-mère, qui gérait ses finances très serrées, était réticente, alors je me tournais vers mon grand-père qui ne répondait généralement pas, mais rapportait l’objet convoité.