Les Manants du Roi


Roman de Jean de La Varende.

Lecture d'un extrait de ce roman par Henri Morize le soir du 31 décembre 1945 à sa famille.

Jean Balthazar Marie Mallard, vicomte de La Varende, plus connu sous le nom de Jean de La Varende, né le 24 mai 1887 au château de Bonneville à Chamblac, mort le 8 juin 1959 à Paris, est un écrivain français.

Le terroir normand et surtout le pays d'Ouche constituent le fonds de ses nombreux ouvrages. Il est très attaché à la tradition normande et à l´héritage commun des paysans et de la noblesse terrienne.
Les Manants du roi sont ceux qui restent sur la terre où ils sont nés. Ils l'aiment et la cultivent comme un jardin.

Bretagne en 1939 / 1945

Vie de propriétaires terriens en Bretagne durant la 2è guerre mondiale. Le fils Franz (propriétaire) est prisonnier en Allemagne, les parents, Henri et Madeleine, la soeur de Franz (Cricri) et l'épouse de celui-ci (Annie) doivent s'occuper de l'exploitation. Toutes les journées de travail sont longues même en hiver, les jours se suivent et se ressemblent dans le labeur y compris les jours de fête qui ne sont pas ceux que nous connaissons actuellement. Guerre et privations sont leur lot quotidien.

Extraits des carnets (agendas) écrits par Madeleine Morize Prat entre 1939 et 1948 dans la propriété du Mesgouëz, près de Plougasnou, dans le Finistère. (aucune photographie n'avait été prise en hiver...)

Ne sont transcrits ici que les 31 décembre, jours de la St Sylvestre et "réveillon"
 de 1941 à 1947.


Prologue de Philippe Morize (l'un de ses petit-fils)
 
Au milieu de tous ses graves soucis, elle marche en avant, elle mène son bateau… mettant aussi la main à la pâte : gardant le troupeau s’il le faut, veillant les vaches qui s’apprêtent à vêler en pleine nuit, s’occupant de son jardin… et pourtant, elle n’oublie personne, ni sa famille proche ou lointaine, ni ses amis, ni ses voisins. Elle maintient le Mesgouëz et fait vivre tous ceux qui l’entourent, se privant elle-même bien souvent et regrettant de ne pouvoir parfois faire davantage pour les autres.

Elle écrit : "A travers l’époque douloureuse que nous traversons tous au début de ces années 1940… c’est la guerre, c’est l’occupation allemande… c’est la peur, ce sont les bombardements et de quoi demain sera-t-il fait… c’est la disette, ce sont les privations et de quoi demain pourrons-nous nous approvisionner…"

1941

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Mercredi 31 Décembre  (S. Sylvestre)
Photo de Madeleine

La nuit a été froide mais dès que le soleil a paru la température s’est relevée et nous avons joui d’une véritable journée d’été. Elle a favorisé notre transport de fumier sur la terre d’orge. Nous avions les Jégaden (Madagascar), Toudic, le père Charles et Lavenant. Cela a bien marché.

Gardé les vaches à Kerligot l’après-midi.

Le soir on trinque. Après le départ des journaliers, Henri descend le phono et fait passer quelques disques. Comme il les choisit lui-même ce sont des choses de "notre temps" un peu surannées.

Lettres de Suz Prat et de Mimi St Ybon qui m’attristent. Elles sont malades toutes deux.

Fin d’année bien mélancolique. Cricri tue un poulet pour la première fois.

1942

Jeudi 31 Décembre (S. Sylvestre)

Francine ne vient pas encore, ce qui complique beaucoup notre journée qui devait déjà être surchargée. Nous n’arrêtons pas. Je prends Me Martin pour nous aider à faire le nettoyage de la cuisine. Nous tentons vainement d’aller à Morlaix ; il n’y a pas de car, pas un seul : ni Mérer, ni Huet, ni Ammonou.

Isis va mieux ; je n’ose pas chanter victoire mais je la crois sauvée à moins d’une rechute. Par contre celle des Jégaden de Kerdini est morte hier. Il faudra que je me souvienne de ma promesse de les aider si ce malheur leur arrivait et qu’il nous soit épargné. Notre jument a pu se relever seule aujourd’hui. C’est un énorme progrès. Louis a trouvé aussi son urine moins opaque et moins colorée. Que Dieu soit béni.

Nous sommes invités à un café au Verne en l’honneur des mariés d’hier. Mes filles y vont, je garde Françoise. Soirée de solitude.

1943

Vendredi 31 Décembre (S. Sylvestre)

Fin d’année lamentable ; une seule bonne chose à noter : lettres de nos "Pierre" chéris si affectueuses, si réconfortantes, si belles ! Une petite satisfaction stomacale : nous avons de très belles huîtres données par Me Tromeur de Térénez mais je n’y puis qu’y goûter ayant été malade toute la nuit.

Henri rapporte du bourg un superbe gigot de 8 livres 100gr qu’il a payé 410 frs.

Louis conduit Ondine au taureau de Lancien à Plouezoc’h. Cricri termine des petits mouchoirs de soie de toutes les couleurs pour donner demain à Françoise. Ma fille et moi passons ensemble cette dernière soirée de l’année.

1944

Dimanche 31 Décembre  (S. Sylvestre)

Messe et communion à Plouezoc’h. Beaucoup d’ouvrage – pas un instant de répit. Grande mélancolie ; craintes pour l’avenir mais remise de tout entre les mains de Dieu.

Franz fait des invitations pour un café mardi soir. Je me demande comment il pourra caser tous ces convives dans la cuisine, seule pièce un peu habitable par cette température.

Mes salades de scaroles sont toutes gelées et le jardin a pris un aspect lamentable. Mon cœur est à Sisteron, je voudrais tant les savoir tous heureux là-bas, non seulement à cause de la sérénité d’âme mais aussi grâce au confort nécessaire qui, je le crains, leur manque. Mon Dieu que mes peines et privations se changent en joies pour ceux que j’aime.

1945

Lundi 31 Décembre (St Sylvestre)
Photo de Christiane (cricri), fille d'Henri et  de Madeleine

Brièveté des joies. Aussitôt après le déjeuner, nos oiseaux chéris s’envolent. Merci mon Dieu de la douceur de leur visite. Merci aussi pour toutes les protections et les grâces de cette année qui s’achève tout juste au moment où j’écris ces lignes. Il est minuit. Certes il y a eu des épreuves et même des tristesses, quelques souffrances, beaucoup de privations et de gênes mais nous avons tenu le coup. Que la Providence nous ait en garde durant 1946 ! Je lui confie tous les chers miens et je m’abandonne aussi à sa Volonté.

Nous avons dîné... Henri nous a lu une petite histoire des "Manants du Roi".

Veillée. Cricri termine le mouchoir russe qu’elle veut donner à Annie demain. Nous jouons un peu avec Françoise.
A minuit moins ¼ Annie nous offre un tout petit mais délicieux réveillon : une tablette de chocolat et un peu de bénédictine.

1946

Mardi 31 Décembre (S. Sylvestre)

Mélancolie du dernier jour de l’année. J’écris presque toute la journée. Ce soir je suis lasse mais pleine de confiance en Dieu qui ne nous abandonnera pas. L’avenir s’annonce très sombre et le présent manque de gaieté.

Il faut prier beaucoup pour notre pauvre pays, pour notre famille et aussi pour nous-mêmes. Que tous nos actes soient des prières quand les véritables agenouillements ne nous sont pas possibles.

1947

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Mercredi 31 Décembre (St Sylvestre)
Photo d'Henri (époux de Madeleine)

Adieux à 1947. Cette année me laisse certainement plus de mauvais souvenirs que de bons. A sa dernière heure cependant, je veux remercier Celui qui m’a envoyé joies et peines. Ces dernières sont peut-être les meilleures. Dans le domaine des choses éternelles, elles ont sans doute une valeur plus grande. Aussi je dois remercier davantage des larmes que des rayons de soleil.

Et maintenant il faut s’armer pour d’autres luttes. Mon Dieu donnez-moi des forces et aussi l’intelligence nécessaire pour bien comprendre mes devoirs.

Lettres de parents et d’amis. Il va falloir répondre. Comment en trouver le temps dans une existence aussi surchargée ? Henri va chez les Preissac porter nos voeux.

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