
Jadis, les ustensiles de ménage étaient en bois. Pendant les soirées d'hiver les vieillards polissaient à loisir les douves sur leur établi, leur "bintset", les assemblaient en cuves, seilles et baquets. Durant l'été, ces récipients économiques se desséchaient, se fissuraient, dansaient dans leurs cercles. Au moindre choc, ils tombaient comme des châteaux de cartes, et c'était toute une affaire de les remonter. Le rebiqueur s'y entendait à merveille.
Dans les montagnes, à défaut d'osier, on tresse les corbeilles avec des lanières de coudrier détachées de longues branches flexibles en pleine sève. Ces paniers étaient commodes pour butiner dans les jardins et les vergers, cueillir la fraise ou la noisette, mais ils étaient vite percés. Le rebiqueur les réparait d'une main experte.
Le paysan ne se résignait pas à jeter au tas de pierres, au "murget", les vases brisés ni la vaisselle fêlée. Lorsqu'une soupière vénérable, qui avait longtemps présidé aux repas de famille, recevait un heurt qui la fendait, la ménagère la mettait en lieu sûr, à l'abri de nouveaux outrages, en attendant le rebiqueur.
Celui-ci étudiait la pièce avec l'attention concentrée du chirurgien devant une fracture. Il la palpait, l'auscultait. Si le dommage n'était pas sans remède, il s'armait d'un poinçon dont il appuyait le gros bout contre sa poitrine blindée d'une plaque d'acier, et d'un archet qui entrait en danse et faisait tourner le poinçon il perçait ainsi des trous imperceptibles dans la faïence ou la porcelaine, ajustait des crampons, cimentait les brèches. La soupière ou le saladier reparaissaient ainsi, étanches, sur la table.